Cette capsule audio est inspirée des chroniques d’Arthur Buies publiées dans les journaux du Québec de 1871 à 1877 et rééditées dans les Petites chroniques du Bas-du--Fleuve (éditions Trois-Pistoles, 2003).
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En cet été 1878, certains se plaignent qu’il ne reste plus une chambre de libre dans nos places d’eau canadiennes. Vous vous demandez d’où vient cette mode, que dis-je, cette folie?!!
Autrefois, « Aller à l’eau salée » voulait dire « aller à Kamouraska ». L’élite canadienne-française s’y donnait rendez-vous pour y trouver la « joie de vivre» ou pour s’y refaire une santé, que ce soit celle du corps ou de l’esprit. Mais aujourd’hui, l’expression « aller à l’eau salée » signifie découvrir un grand territoire!
À lire les guides de voyage, on dirait que les touristes sont attirés dans le Bas-du-Fleuve par les vieux fours à pain, les tapis tissés par nos grands-mères et les wigwams au bord des quais… Eh! eh! Il y a peut-être un peu de ça… Mais je vous le dis, si les places d’eau sont devenues si fashionables, c’est surtout parce que des entrepreneurs - brillants et visionnaires! - les ont transformées en destinations de luxe.
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Ces dernières années, des hôtels incomparables ont ouvert leurs portes aux voyageurs. Au Saint Lawrence Hall de Cacouna, par exemple, on déjeune, on collationne, on dîne et on soupe au son des violons, des flûtes et de la harpe. Vous avez un désir? Le maître d’hôtel l’aura déjà comblé!
Les menuisiers ont du pain sur la planche, c’est le cas de le dire! Ils construisent des villas un peu partout, sur les crans rocheux. Vous rêvez d’un pied-à-terre en campagne? Faites votre offre! Les familles d’habitants partent par centaines travailler aux États-Unis... Si elles peuvent vous vendre un bout de terre avec vue sur le fleuve, votre prix sera le leur!
Et pour vous rendre dans tous ces beaux hôtels, ces belles auberges ou ces villas, me demanderez-vous? Rien de plus facile. Il y a vingt ans, les vieux bateaux à vapeur faisaient semblant d’avancer… Mais aujourd’hui, ça file! Les employés sont à votre service, vous y êtes traités comme des rois! On peut même vous renseigner sur les îles que vous croisez…
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Il faut dire que les gouvernements ont compris que les régions seraient plus prospères avec des quais en eau profonde. Grands quais, gros navires, gros profits! C’est tout un réseau de bateaux à vapeur qui dessert les places d’eau. Chaque année, on offre plus de départs pour un plus grand choix de destinations. Prenez Pointe-au-Pic : cette année, trois bateaux y accostent chaque jour! Et à Rivière-du-Loup, des correspondances ont été prévues entre les bateaux et les trains… Le touriste des années 1870 a de la chance, il peut aisément se balader entre les deux rives du fleuve!
Les trains... En 1860, les premiers wagons passagers du Grand-Tronc étaient des fours. Les fenêtres étaient étanches : on bouillait. Et je ne vous parle pas des odeurs… C’était suffocant! Aujourd’hui, c’est à qui offrira les wagons les plus luxueux, les plus confortables! Vous me donnerez des nouvelles de la ligne de l’Intercolonial, qui vient d’être prolongée jusqu’à Métis. Les touristes viennent de plus en plus loin pour s’y rendre : Ottawa, Toronto, New York, Chicago… ne vous y déplacez pas sans avoir d’abord réservé votre chambre!
Je vous le dis : l’eau salée, l’air du large, les paysages, les montagnes; le Bas-du-Fleuve a toujours été riche de ces trésors-là. Si les touristes ont commencé à arriver en troupeaux, c’est que maintenant, ces bonnes Dames et ces bons Messieurs peuvent profiter de nos « beautés sauvages » dans le plus grand confort.
Il était temps que le progrès soit mis au service des régions!